Un rat dans la contrebasse
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23 septembre 2018
L'Anniversaire
" C'est mon anniversaire ", comme chantait l'autre.
L'autre, en l'occurrence, c'était moi.
Il faut se reporter seize ans en arrière pour comprendre de quoi je veux parler… Nous sommes aux studios ICP de Bruxelles en l'an 2000. Nous, c'est David Maurin à la batterie, Hubert Mounier à la basse, Benjamin Biolay au Rhodes (il s'agit d'un clavier nanti de petits marteaux frappant sur des barres métalliques, dont le son est amplifié électriquement — je parle du Rhodes, pas de Benjamin), et votre serviteur à la guitare acoustique et au chant, sans oublier Erwin Autrique à la prise de son.
Nous enregistrons ce jour-là trois chansons, ou plus exactement nous en jetons les bases, qu'on appelle des pré-prods, une sorte de croquis sonores destinés à être retravaillés sérieusement par la suite.
Ça explique le son et la qualité assez moyens de l'ensemble. Tout ça n'est qu'un document de travail destiné, au mieux, à être entendu par un directeur artistique aux oreilles affutées.
J'ai imaginé la musique de L'anniversaire, et Hubert en a écrit le texte. Et ce jour-là, je le découvrais, ce texte, et je le chantais pour la première fois. Ce que vous voyez, d'ailleurs, c'est le texte écrit de la main d'Hubert qu'il m'a livré ce jour-là. Son écriture propre et nette était typique. Hubert ne travaillait jamais à partir de notes griffonnées à la va-vite.
Aujourd'hui, particulièrement, cette chanson prend une résonance nouvelle, deux jours après l'anniversaire d'Hubert Mounier, un anniversaire dont le fêté était très tristement absent.
Mais elle représente bien d'autres choses, par chance, parce que les chansons ont parfois ce petit pouvoir-là… Je l'ai souvent chantée aux anniversaires de mes enfants, et à quelques amis.
Je voulais la partager avec vous.
Et j'échangerais volontiers un empire pour revivre cette journée où l'amitié nous avait jetés tous trois, Hubert, Benjamin et moi, dans ce studio pour y enregistrer le cœur léger cette amusante chanson.
flg
23 septembre 2019
UN DOUBLE ANNIVERSAIRE, DES GENS BIEN DISCRETS,
DES FOURMIS QUI BOUGENT ET DES CHÈVRES QUI PARLENT,
UNE CANTINA QUI REJAILLIT D'UN CARTON,
LA MER À L'ESTAQUE,
UN THÉODORE QUI RENOUE AVEC MES DÉBUTS,
UNE TRENTAINE DE TOILES
ET BEETHOVEN.
DES FOURMIS QUI BOUGENT ET DES CHÈVRES QUI PARLENT,
UNE CANTINA QUI REJAILLIT D'UN CARTON,
LA MER À L'ESTAQUE,
UN THÉODORE QUI RENOUE AVEC MES DÉBUTS,
UNE TRENTAINE DE TOILES
ET BEETHOVEN.
Il y a un an, alors que le combo site-blog justement intitulé "flg-bd" fêtait son premier quinquennat, le grand absent de cette aimable célébration n'était autre que ledit flg lui-même — c'est un comble, non ?
Cette année, pas d'histoire, pas de "surcroît de travail" ou de "manque de disponibilité" qui tienne (deux de mes excuses préférées) : me voici, et je viens, vous vous en doutez, formuler une belle quantité de vœux à ce beau site et, tant que nous y sommes, à ma pomme aussi, puisque nos dates d'anniversaire se trouvent coïncider et que ça n'est pas sous l'effet du hasard.
Six ans pour l'un, et autant pour l'autre, mais avec, pour moi, un zéro derrière — et zéro, vous l'aurez tous appris en classe de mathématique, ça n'est rien du tout.
Qui l'aurait cru ?
Je ne parle pas de mes soixante ans. Ça, ça n'a rien d'extraordinaire : 60 succède à 59 et, si j'ai bien écouté en classe, après 60, c'est 61. Enfin, je crois ; la mathématique, ça n'est pas mon fort.
Non, mais six ans d'assiduité, de fidélité, de la part des gens adorables qui ont eu un jour cette idée saugrenue de se lancer dans cette entreprise, voilà qui est beau.
Pouvait-on imaginer, alors, que l'expérience se poursuivrait pendant au moins six ans ? — et, à mon avis, elle n'est pas finie.
C'est qu'il en faut, de la constance, de la motivation, pour trouver encore du plaisir à alimenter un site après six ans.
Car, quel est l'intérêt de ces gens qui consacrent ainsi leur temps à mettre en valeur l'œuvre d'un autre ? Certainement pas l'appât du gain, ni l'opportunisme, ni une quelconque volonté de se mettre en avant.
Franchement, que savez-vous des gens qui travaillent dans l'ombre à mitonner ce blog ?
Moi-même, je sais peu de choses d'eux !
Je vais vous faire un aveu : En six ans de temps, je ne les ai même jamais rencontrés.
J'ai découvert un jour, par hasard, n'étant pas un grand fureteur du net, ce site qui m'était consacré. c'était il y a six ans (toujours la mathématique, hein !), et j'ai aussitôt réagi en envoyant un petit post pour dire combien j'étais ravi, et surpris, de cette initiative.
Laure m'a répondu aussitôt, également ravie, et depuis tout ce temps, nous continuons de nous écrire plus ou moins régulièrement, selon l'actualité et nos vies personnelles, mais plutôt plus que moins.
Le vouvoiement a longtemps été de rigueur et, même si j'ai la fâcheuse manie de tutoyer tout le monde, j'avoue que ce long tutoiement ne m'a pas déplu.
Après six ans, Laure continue de m'adresser ses amitiés, tandis que je lui envoie des bises en retour !
Voilà pour la petite histoire du site ou blog que vous avez sous les yeux.
Je lui souhaite un grand avenir, encore, et beaucoup de choses à dire.
Ça ne tient qu'à moi, je sais, puisque ce site est tributaire de mon actualité, laquelle n'est pas toujours celle d'une pop star ou d'un acteur de cinéma américain. Mais nous allons tranquillement, et je fais part à Laure avec le plus de régularité possible des petites nouvelles de ma vie d'auteur de bandes dessinées — et même de musicien, d'écrivain et de peintre.
Ces dernières activités, vous pouvez les juger annexes à bon droit, si vous vous intéressez principalement à la bande dessinée, mais la petite équipe a choisi de parler de tout ce qui me tenait à cœur et, croyez-moi, ici, ces "activités annexes" n'en sont pas, elles me tiennent à cœur.
Quelle année, dites donc !
Les faits les plus saillants, vous les savez, vous les avez lus ici, et je ne les mentionnerai que pour mémoire.
Il y a eu beaucoup de Théodore Poussin.
Jusque là, j'ai jalousement gardé les pages du nouvel album pour moi (même mon éditeur n'a découvert les 25 premières pages que récemment, d'un coup).
C'est que j'ai changé beaucoup de choses à ma méthode de travail et à mon approche de la bande dessinée.
J'avais toujours été fidèle, bien sagement, trop, sans doute, à une technique lentement acquise à l'école de Spirou. J'avais envie de remettre beaucoup de ces choses en question, et je me suis souvenu de la liberté que j'avais dans mes premiers travaux — bien avant d'être publié. je lisais alors Battaglia, Hugo Pratt, Alberto Breccia et tant d'autres qui me poussaient à expérimenter. Puis, la nécessité de gagner ma vie m'a forcé à me diriger vers un dessin et une narration plus classiques. Question de survie. En 1976, et au début des années 1980, il n'était pas question de "faire de l'art" (les grands mots) dans un journal comme Spirou.
La seule échappatoire, à ce moment-là, était l'underground. J'avais commencé par ça, mais j'étais désireux de gagner ma vie avec mes bandes dessinées (quelle drôle d'idée), et j'ai travaillé dur pour faire partie de cette équipe spirou.
Aujourd'hui, bien des chose sont changé.
Nombre de jeunes auteurs reviennent à une bande dessinée osée, expérimentale — mais qui fonctionne ; pas d'expérimentations pour le simple goût de l'avant-garde.
Ce nouveau Théodore Poussin reflètera donc ce goût retrouvé pour la recherche.
Je suis bien conscient que c'est une prise de risques, quand beaucoup de lecteurs aspirent à retrouver dans un album d'une série les ingrédients inchangés des albums précédents. Mais à y regarder de plus près, je n'ai jamais été fidèle à ce que j'avais déjà fait, je n'ai jamais eu le goût de la redite (pour quoi faire ?), et ma seule constance reste l'inconstance, pour reprendre la belle formule de Jonathan Swift.
Cet été, je suis arrivé au terme du premier tiers de l'album, lequel se découpe précisément en trois parties distinctes et, les beaux jours arrivant, et tout le monde, chez Dupuis, ayant pris la poudre d'escampette, à commencer par mon cher éditeur et ami qui est toujours prompt à déserter, l'animal, j'ai décidé de me reposer, moi aussi.
Il n'y a pas de raison !
Repos qui a consisté à peindre un peu plus de trente toiles, en travaillant tous les jours — le sage conseil de Matisse ! — à raison de cinq à sept heures de travail par jour.
Tout ce travail a été bénéfique et a porté ses fruits.
J'ai progressé. Pas seulement dans la technique, mais aussi dans ma compréhension de la peinture.
En juillet, je suis allé explorer le musée d'Orsay de fond en comble, et l'hôtel Salé, le musée Picasso, que je connais si bien pour avoir vécu longtemps à quelques centaines de mètres de lui. J'ai vu Cézanne et Monet comme je ne les avais jamais vus. C'est-à-dire que je les ai regardés d'un autre œil. Cézanne reste mon peintre préféré, et je suis resté longtemps en arrêt devant sa "mer à l'Estaque" (1878) qu'on peut voir au musée Picasso, parce que Picasso, grand collectionneur d'art, l'avait acquise dans les années 1940.
N'allez pas croire pour autant que j'avais complètement délaissé la bande dessinée !
Vous verrez dès ce mois de novembre les fruits du travail intense qui nous a occupés, le jeune (et prodigieux) dessinateur Damien Cuvillier et moi, tout au long de cette année — cet été compris.
Mais je vous en reparlerai plus tard, car il y aura beaucoup à dire sur cette collaboration et sur son résultat.
Il y a eu ce grand prix de l'Académie Victor-Rossel.
Là, tout a commencé par un coup de téléphone de Bernard Hislaire, et les coups de fil de Bernard Hislaire me réussissent généralement : c'est déjà lui qui, en 1982 ou 83, m'avait appelé pour me signaler que le nouveau rédacteur-en-chef de Spirou, Philippe Vandooren, voyait mon travail d'un bon œil et se demandait où diable j'avais disparu. Philippe Vandooren allait non seulement m'aider à créer Théodore Poussin par ses remarques pertinentes, mais devenir au fil du temps un ami véritable.
Ce prix, vous le savez, a été un grand moment de ma vie d'auteur, et un jalon important de cette année bien remplie.
Et puis, il y a mon roman.
Vous vous souvenez de "La Cantina" ?
J'avais renoncé à chercher à le publier et je m'en portais très bien, croyez-moi. Le manuscrit dormait au fond d'un carton et voilà tout.
Et puis, par un concours de circonstances comme on n'en voit que dans les romans, justement, voilà que ma Cantina intéresse les éditions Alma.
Il se trouve que les éditions Alma, c'est l'auteur et ancien journaliste Jean-Maurice de Montremy, que j'avais rencontré au cours d'une interview dans les années 1990 quand il était rédacteur-en-chef du journal de Bernard Pivot, "Lire".
Jean-Maurice ne m'avait pas oublié, il avait même eu la gentillesse de suivre d'assez près ma carrière, et je n'avais pas oublié non plus cet homme étonnant, cultivé et d'un autre temps.
Tout ça fait que "La Cantina" sortira en février 2020 chez Alma, et nous travaillons sur la lecture des épreuves, la maquette de la couverture (que j'ai dessinée) et tous les petits à-côtés qui accompagnent la sortie d'un livre.
Enfin, il y a cette troupe de théâtre qui a monté un spectacle pour enfants à partir de "Là où vont les fourmis", le dernier album de mon cher ami Michel Plessix, que j'ai eu l'honneur d'écrire pour lui.
Cette troupe s'appelle "la Compagnie de l'arme blanche" et est dirigée par Anaïs Bon, avec laquelle nous entretenons depuis une correspondance assidue qui déborde largement du cadre du théâtre.
Je pense que Laure vous montrera en images et en photos de quoi il s'agit, et vous communiquera peut-être leurs coordonnées, car ces gens ont bien besoin de se produire.
Nous sommes le mardi 17 septembre et mon anniversaire est dans quelques jours.
Je suis assis dans mon atelier du Finistère, entouré de toutes mes toiles, car je les garde longtemps à la vue, guettant une imperfection à retoucher, une couleur à forcir, à tempérer, à modifier. Partout autour de moi, ça n'est que couleurs, les miennes, dans une joyeuse juxtaposition, un fatras de toiles qui passent devant ou derrière, selon l'intérêt que je leur porte ce jour-là.
Sur ma table à dessin, tout mon matériel ne dort que d'un œil et attend que je vienne tirer Théodore du mauvais pas où je l'ai méchamment laissé.
J'écoute les sonates pour piano de Beethoven, jouées par Alfred Brendel.
Par la fenêtre ouverte, je m'émerveille comme chaque jour devant la richesse des verts de la nature, chaque jour renouvelés et chaque jour différents, tout dépend de la lumière.
Ma vie est belle.
Il paraît que je vais attraper soixante ans.
Bon et joyeux anniversaire à nous, cher blog !
flg
N.B. Pour tout savoir sur le spectacle " Là où vont les fourmis ", vous pouvez télécharger le fichier PDF ci-dessous en un clic.
Pour voir quelques-unes des nouvelles toiles du cru 2019 de Frank Le Gall, rendez-vous tout en bas de la rubrique " Galerie Picturale ".
dp-fourmis-bd_1__1_.pdf | |
File Size: | 3413 kb |
File Type: |
© frank le gall
© alice corderoch
23 septembre 2020
DE L'ÉLASTICITÉ DU TEMPS,
QUAND IL LE VEUT BIEN,
ET DES SES ESCOBARDERIES
QUAND IL S'Y MET.
QUAND IL LE VEUT BIEN,
ET DES SES ESCOBARDERIES
QUAND IL S'Y MET.
Comment ! Il y a un an, déjà ? Cela fait vraiment un an que je nous souhaitais ici-même, au site comme à moi, un bon anniversaire ?
Je pose la question : Où donc est passée cette année ? Cet escamotage des jours, des semaines et des mois me fait penser à Noël et à tous les anniversaires, quels qu'ils soient.
Vous voyez, je dois bien vous l'avouer, je suis le genre de gars qui, quand lui annonce que Noël approche, répond avec candeur et sincérité : "Encore ? Mais, nous l'avons déjà fêté il y a trois mois !".
Et les image des interminables courses aux cadeaux (quoi offrir à Marie-Charlotte ? Elle ne lit pas, elle n'écoute pas de musique, elle ne regarde pas de films ; c'est simple, elle n'aime rien), les images de l'organisation des fêtes, des longues discussions sur le menu (les huîtres, ç'aurait été bien, mais Marie-Charlotte ne les digère pas et Édouard est végétarien), ces images s'imposent à moi sans pitié, tandis que je reste là, stupide, à murmurer "Mais… c'était il y a trois mois, je m'en souviens bien"…
Le temps nous joue des tours.
Car, si vous voulez bien m'en croire, s'il n'y a qu'un seul weekend par semaine et quinze jours de vacances par an, je crois dénombrer au moins deux à trois Noëls et anniversaires chaque année !
Souvenez-vous : Quand nous étions petits, une année se décomposait de cette manière : l'école durait à peu près un siècle (ou deux, pour les cancres), les grandes vacances n'arrivaient qu'au bout de ce terme-là, mais duraient trois petits jours. Quant à notre anniversaire et à Noël, ils avaient lieu, chaque année, tous les mille jours et passaient en un clin d'œil.
Voilà une chose dont j'aurais volontiers débattu avec Albert Einstein, si le temps ne s'en était pas mêlé, là aussi, en escamotant le grand homme quatre ans avant ma naissance.
Il faut bien se rendre à l'évidence, une année est passée.
Et nous revoici à nous souhaiter un bon anniversaire, au site comme à moi. Enfin, disons au site, en ce qui me concerne, car je me souhaite rarement mon anniversaire. Les autres s'en chargent.
Sept ans, c'est un bon chiffre ! On dit parfois que c'est l'âge de raison (on dit aussi que c'est huit…). Et puis, sept, comme dans "Les sept boules de cristal", comme dans "Sept ans de réflexion", les sept couleurs de l'arc-en-ciel, les sept nains de Blanche-Neige, sans oublier les sept travaux d'Hercule ou "L'armée des sept singes"… Sept, c'est un bon chiffre.
Bon anniversaire, donc, cher site — et chères personnes qui avez eu la gentillesse de le créer, et la constance de vous en occuper encore, et pour encore longtemps, je l'espère.
Mais, dans tout ça, permettez-moi de vous poser une fois encore la question, car, rien à faire, quelque chose persiste à m'échapper : Ça fait vraiment un an, vous êtes sûrs ?
Quimperlé, le 19 septembre 2020
2 huiles sur toiles du cru 2020: " La Nageuse ", et " Femme endormie ".
Frank Le Gall peintre, par Alice Corderoch, juin 2021.
"Une case extraite de la planche 54 de Aro Satoe. Difficile de vous en montrer davantage sans vous dévoiler la fin."
Des projets et de leur réalisation, de l'isolement
forcé, de l'Argentine et des côtes écossaises.
Il y a un an tout juste que je vous entretenais ici de l'élasticité du temps et, sans blague, me voilà encore une fois perdu dans le labyrinthe de mes impressions : le texte en question, j'ai le sentiment de l'avoir écrit il y a quelques semaines !
Mais rassurez-vous, je ne yoyote pas encore, je ne vais pas vous parler encore des tours que le temps me joue.
Aujourd'hui, alors que je viens, rituellement, souhaiter à cet excellent site un non moins excellent anniversaire — le huitième ! —, j'ai dans l'idée de vous faire part de ce dont l'année passée fut, pour moi, constituée.
Il y a un an, je ne le pouvais pas, car l'année écoulée, alors, avait principalement été consacrée à des projets qu'il était prématuré d'évoquer — une espèce de superstition m'interdit de faire état de travaux non aboutis, et susceptibles encore de ne jamais aboutir, pour des raisons ne m'appartenant pas forcément.
L'année dernière, je ne pouvais pas vous parler du scénario — le terme, ici, n'est pas exact, vous verrez — que je venais de finir, en ce mois de septembre 2020, et qui m'avait demandé sept mois de travail à temps plein — plus aucune planche de Théodore Poussin, et plus de peinture. Car quand je me mets à écrire, c'est ainsi : du matin au soir, chaque jour, tous les jours.
Si le terme de scénario me paraît impropre, c'est que je n'ai pas conçu et écrit cette histoire comme une bande dessinée. Il ne s'agit pas non plus d'un roman, ni d'une pièce de théâtre. C'est un texte qui ne fait pas moins de 266 pages tapées — l'équivalent d'un roman en terme de signes —, que j'ai écrit sans me soucier aucunement des règles propres à la bande dessinée. J'y ai mis tout ce que je voulais y voir. C'était cela, l'idée. Écrire sans me limiter, sans astreinte aucune liée au genre pourtant visé, la bande dessinée.
Nous étions d'accord sur ce principe, le dessinateur Damien Cuvillier et moi. Car c'est pour lui que j'ai écrit 23 skidoo — c'est le titre de cette histoire. Après avoir réalisé ensemble Mary Jane pour Futuropolis, sur la base d'un projet que je devais d'abord mener seul, nous avions envie de retravailler ensemble, sur un projet bien à nous, cette fois-ci.
Mais rassurez-vous, je ne yoyote pas encore, je ne vais pas vous parler encore des tours que le temps me joue.
Aujourd'hui, alors que je viens, rituellement, souhaiter à cet excellent site un non moins excellent anniversaire — le huitième ! —, j'ai dans l'idée de vous faire part de ce dont l'année passée fut, pour moi, constituée.
Il y a un an, je ne le pouvais pas, car l'année écoulée, alors, avait principalement été consacrée à des projets qu'il était prématuré d'évoquer — une espèce de superstition m'interdit de faire état de travaux non aboutis, et susceptibles encore de ne jamais aboutir, pour des raisons ne m'appartenant pas forcément.
L'année dernière, je ne pouvais pas vous parler du scénario — le terme, ici, n'est pas exact, vous verrez — que je venais de finir, en ce mois de septembre 2020, et qui m'avait demandé sept mois de travail à temps plein — plus aucune planche de Théodore Poussin, et plus de peinture. Car quand je me mets à écrire, c'est ainsi : du matin au soir, chaque jour, tous les jours.
Si le terme de scénario me paraît impropre, c'est que je n'ai pas conçu et écrit cette histoire comme une bande dessinée. Il ne s'agit pas non plus d'un roman, ni d'une pièce de théâtre. C'est un texte qui ne fait pas moins de 266 pages tapées — l'équivalent d'un roman en terme de signes —, que j'ai écrit sans me soucier aucunement des règles propres à la bande dessinée. J'y ai mis tout ce que je voulais y voir. C'était cela, l'idée. Écrire sans me limiter, sans astreinte aucune liée au genre pourtant visé, la bande dessinée.
Nous étions d'accord sur ce principe, le dessinateur Damien Cuvillier et moi. Car c'est pour lui que j'ai écrit 23 skidoo — c'est le titre de cette histoire. Après avoir réalisé ensemble Mary Jane pour Futuropolis, sur la base d'un projet que je devais d'abord mener seul, nous avions envie de retravailler ensemble, sur un projet bien à nous, cette fois-ci.
"Le texte de 23 skidoo, tel qu'il se présente avant d'être tapé au propre. Il aura été écrit entre mars et septembre 2020."
"Damien Cuvillier en plein travail de recherche, ici, à Quimperlé. Nous travaillons ensemble au découpage de 23 skidoo."
Le principe, puisque principe il y a, est le suivant : ce long texte qui ne s'est embarrassé ni du rythme ni de la concision qui président d'habitude à l'écriture d'un scénario — car c'est là, dès l'amont, qu'on s'interdit l'abondance, les à-côtés, les digressions, dont on sait qu'ils n'entreront pas dans le nombre de pages qu'on alloue généralement à une bande dessinée —, ce long texte est une base dont nous avons à extraire une bande dessinée. Il ne s'agit pas d'une adaptation, puisque le texte est l'essence même de ce que sera notre livre, mais plutôt, à partir d'un matériau volontairement trop riche, écrit comme dans une langue étrangère, d'une traduction dans le langage de la bande dessinée. C'est pourquoi Damien et moi travaillons ensemble au découpage dessiné de 23 skidoo, et cette "traduction" se révèle diablement délicate si nous ne voulons pas, en passant au langage de la bande dessinée, perdre ce qui faisait l'intérêt du texte, et qui a séduit nos éditeurs.
Il s'agit d'une gageure. Cette façon de faire peut paraître bien inutilement compliquée, j'en conviens, mais c'est là, dans cette originalité, que réside aussi son intérêt.
23 skidoo sera publié par les éditions Dupuis. Quand ? Nous sommes tous bien incapables de le dire. Mais si nous imaginons que cette histoire se déroulant sur vingt ans et trois continents ne pourra pas compter moins de quatre à cinq cents pages, voilà par conséquent une actualité qui nous mène loin dans l'avenir…
Pour cette raison, je ne vous dévoilerai pas ici, dès maintenant, ce que racontera cette histoire. Et, de la même manière, il serait prématuré de vous montrer les croquis de Damien, ses premiers essais, ou nos découpages.
Plus proche de nous, il y aura Aro Satoe, le prochain Théodore Poussin, que je pense finir aux alentours de la fin de cette année, pour une parution prévue en 2022.
Je ne peux rien vous montrer non plus des dernières pages, elles sont très explicites et vous en dévoileraient trop sur la dernière partie de cette histoire...
Comme d'habitude, en travaillant sur mes planches, ma tête est déjà, et depuis longtemps, dans le scénario du volume suivant. Une nouvelle fois, les notes s'accumulent, les cahiers se noircissent, mes lectures m'amènent sans prévenir des visions différentes de mon histoire, des possibilités que je n'avais pas entrevues. Tout cela s'enrichit petit à petit, et parfois même à mon insu. C'est très curieux, quand on écrit, comme tout ce qui nous entoure, qu'on voit, qu'on lit, qu'on entend, semble se rapporter à ce qu'on veut écrire, à ce qu'on cherche. Les sens sont en éveil, et c'est une période, la gestation d'une histoire, qui est à la fois passionnante et très accaparante.
Enfin, les éditions Dupuis souhaiteraient publier un livre conséquent sur ma vie en dessins — qu'on ne me traite pas de vaniteux ou de m'as-tu vu, l'idée n'est pas de moi, mais de notre directeur éditorial.
Là-dessus, je n'ai aucune date à annoncer.
Je sais seulement que ce livre devrait regrouper des dessins de toutes les époques de ma vie — et là, je ne vous cacherai pas que certaines époques me font un peu peur —, accompagnés de textes de différents auteurs, chacun amenant son propre éclairage sur ce que nous appellerons modestement mon "œuvre" — le terme étant à prendre dans son sens premier, qui désignait simplement un travail, fonctionnel ou non, le produit tangible d'une pensée, et rien de plus.
Mais il s'agit là d'un de ces projets dont je parlais plus haut, dont j'ignore bien s'il verra le jour ou non.
Voilà donc de quoi cette année, d'un 23 septembre à l'autre, fut faite.
Beaucoup de travail, et rien à montrer. Dans des périodes comme celle-là, le site crie famine, et le public, à bon droit, peut penser que je me tourne les pouces. Périodes ingrates où nous fabriquons dans l'ombre de nos ateliers (lesquels sont bien éclairés), mais où rien n'est près de se concrétiser.
Ici, dans le sud clément de la Bretagne qui m'a accueilli, j'ai pris goût à la réclusion imposée à tous par les événements — vous savez bien de quoi je parle. Il n'y avait pas à me pousser beaucoup, je n'ai jamais été très mondain, et ma condition d'ours par la force des choses me convient. Je travaille sans relâche, je vais chaque jour de ma table à dessin à mon chevalet, de mon bureau à l'ordinateur qui me permet d'écrire à mes amis et de les lire — de vous écrire, aussi. Je m'active tel un Robinson Crusoe travaillant à améliorer sa vie en recréant, jour après jour, de quoi suppléer tout ce qui lui a été ôté.
Cette année, j'aurai enfin pu explorer complètement les œuvres de Stevenson — ses Essais sur l'art de la fiction, notamment, qui m'aidèrent grandement à apprendre encore mon métier —, Henry James, l'immense Jorge-Luis Borges et son ami de toujours, le trop méconnu Adolfo Bioy Casares. Pour beaucoup, j'aurai été argentin, cette année, après avoir parcouru les côtes écossaises et m'être abandonné au romantisme des jardins anglais. Des réclusions, il en est de pires que celle-ci.
Mais, revenons à nos moutons qui, en l'espèce, sont deux anniversaires tombant le même jour.
Le mien, toujours par la force des choses, sera fort simple et tout à fait à ma convenance.
Et au site, je renouvelle tous mes vœux de longévité, et souhaite qu'il conserve cette belle santé qui fait défaut de par le monde ces temps-ci.
Je voudrais, pour finir, remercier encore Laure et les gens qui travaillent avec elle pour vous tenir sans cesse informés de mes modestes travaux — quand ils le peuvent, encore une fois.
Les maisons que j'aperçois de ma fenêtre ont des façades frappées par une étonnante lumière blanche ; le ciel est bleu-blanc d'un côté de l'atelier, bleu-gris, comme orageux, de l'autre. Cette lumière appelle à peindre. Je vous écris dans le silence, pour une fois, un silence paisible et rassurant. Il va être treize heures.
FLG
Quimperlé, le 11 septembre 2021
Il s'agit d'une gageure. Cette façon de faire peut paraître bien inutilement compliquée, j'en conviens, mais c'est là, dans cette originalité, que réside aussi son intérêt.
23 skidoo sera publié par les éditions Dupuis. Quand ? Nous sommes tous bien incapables de le dire. Mais si nous imaginons que cette histoire se déroulant sur vingt ans et trois continents ne pourra pas compter moins de quatre à cinq cents pages, voilà par conséquent une actualité qui nous mène loin dans l'avenir…
Pour cette raison, je ne vous dévoilerai pas ici, dès maintenant, ce que racontera cette histoire. Et, de la même manière, il serait prématuré de vous montrer les croquis de Damien, ses premiers essais, ou nos découpages.
Plus proche de nous, il y aura Aro Satoe, le prochain Théodore Poussin, que je pense finir aux alentours de la fin de cette année, pour une parution prévue en 2022.
Je ne peux rien vous montrer non plus des dernières pages, elles sont très explicites et vous en dévoileraient trop sur la dernière partie de cette histoire...
Comme d'habitude, en travaillant sur mes planches, ma tête est déjà, et depuis longtemps, dans le scénario du volume suivant. Une nouvelle fois, les notes s'accumulent, les cahiers se noircissent, mes lectures m'amènent sans prévenir des visions différentes de mon histoire, des possibilités que je n'avais pas entrevues. Tout cela s'enrichit petit à petit, et parfois même à mon insu. C'est très curieux, quand on écrit, comme tout ce qui nous entoure, qu'on voit, qu'on lit, qu'on entend, semble se rapporter à ce qu'on veut écrire, à ce qu'on cherche. Les sens sont en éveil, et c'est une période, la gestation d'une histoire, qui est à la fois passionnante et très accaparante.
Enfin, les éditions Dupuis souhaiteraient publier un livre conséquent sur ma vie en dessins — qu'on ne me traite pas de vaniteux ou de m'as-tu vu, l'idée n'est pas de moi, mais de notre directeur éditorial.
Là-dessus, je n'ai aucune date à annoncer.
Je sais seulement que ce livre devrait regrouper des dessins de toutes les époques de ma vie — et là, je ne vous cacherai pas que certaines époques me font un peu peur —, accompagnés de textes de différents auteurs, chacun amenant son propre éclairage sur ce que nous appellerons modestement mon "œuvre" — le terme étant à prendre dans son sens premier, qui désignait simplement un travail, fonctionnel ou non, le produit tangible d'une pensée, et rien de plus.
Mais il s'agit là d'un de ces projets dont je parlais plus haut, dont j'ignore bien s'il verra le jour ou non.
Voilà donc de quoi cette année, d'un 23 septembre à l'autre, fut faite.
Beaucoup de travail, et rien à montrer. Dans des périodes comme celle-là, le site crie famine, et le public, à bon droit, peut penser que je me tourne les pouces. Périodes ingrates où nous fabriquons dans l'ombre de nos ateliers (lesquels sont bien éclairés), mais où rien n'est près de se concrétiser.
Ici, dans le sud clément de la Bretagne qui m'a accueilli, j'ai pris goût à la réclusion imposée à tous par les événements — vous savez bien de quoi je parle. Il n'y avait pas à me pousser beaucoup, je n'ai jamais été très mondain, et ma condition d'ours par la force des choses me convient. Je travaille sans relâche, je vais chaque jour de ma table à dessin à mon chevalet, de mon bureau à l'ordinateur qui me permet d'écrire à mes amis et de les lire — de vous écrire, aussi. Je m'active tel un Robinson Crusoe travaillant à améliorer sa vie en recréant, jour après jour, de quoi suppléer tout ce qui lui a été ôté.
Cette année, j'aurai enfin pu explorer complètement les œuvres de Stevenson — ses Essais sur l'art de la fiction, notamment, qui m'aidèrent grandement à apprendre encore mon métier —, Henry James, l'immense Jorge-Luis Borges et son ami de toujours, le trop méconnu Adolfo Bioy Casares. Pour beaucoup, j'aurai été argentin, cette année, après avoir parcouru les côtes écossaises et m'être abandonné au romantisme des jardins anglais. Des réclusions, il en est de pires que celle-ci.
Mais, revenons à nos moutons qui, en l'espèce, sont deux anniversaires tombant le même jour.
Le mien, toujours par la force des choses, sera fort simple et tout à fait à ma convenance.
Et au site, je renouvelle tous mes vœux de longévité, et souhaite qu'il conserve cette belle santé qui fait défaut de par le monde ces temps-ci.
Je voudrais, pour finir, remercier encore Laure et les gens qui travaillent avec elle pour vous tenir sans cesse informés de mes modestes travaux — quand ils le peuvent, encore une fois.
Les maisons que j'aperçois de ma fenêtre ont des façades frappées par une étonnante lumière blanche ; le ciel est bleu-blanc d'un côté de l'atelier, bleu-gris, comme orageux, de l'autre. Cette lumière appelle à peindre. Je vous écris dans le silence, pour une fois, un silence paisible et rassurant. Il va être treize heures.
FLG
Quimperlé, le 11 septembre 2021
"Non, je ne me livre pas au body painting habillé. Simplement, j'ai la manie d'appuyer l'extrémité en bois de mes pinceaux contre moi, et mes pinceaux sont toujours pleins de peinture, jusque de ce côté-là...Mais j'aime le résultat ! C'est de l'art brut, ça, non ?"
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"Une palette est quelque chose de très parlant. Je ne me souviens pas à quelle toile correspond celle-ci, mais sans doute à une toile dont je suis plutôt satisfait, car j'aime ses tons et ses mélanges."
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QUOI DE NEUF?
Chères amies, chers amis,
Il ne vous aura pas échappé que le titre de ce petit courrier recèle un trait d’esprit d’une drôlerie étourdissante. Moi qui ai les jeux de mots et les calembours en horreur, je n’ai pas pu résister au désir de montrer que je n’étais pas plus mauvais qu’un autre, même si certains de mes amis sont bigrement plus affutés que moi dans ce domaine — ces amis sont d’ailleurs interdits de calembours quand ils sont chez moi ; chez eux, ils font ce qu’ils veulent.
Bref ! Voici que nous fêtons les neuf ans de cet endroit où, théoriquement, vous pouvez trouver quelques nouvelles de moi et, surtout, de mon travail.
Je dis bien « théoriquement » car, cette année, je ne vous aurai guère inondés de nouvelles, je l’admets.
C’est que je travaillais encore sur Aro Satoe, le prochain Théodore Poussin, et que je ne pouvais rien vous montrer des pages en cours sans vous dévoiler des détails, des éléments du récit, ce qui aurait été regrettable pour nous tous.
Et, si la dernière page de cet album a été terminée le 11 avril 2022, sachez que je n’en ai pas encore terminé avec Aro Satoe !
C’est qu’une fois les pages dessinées, il m’a fallu travailler sur pas moins de quatre éditions différentes, ce à quoi j’ai consacré pratiquement tout mon été caniculaire — le vôtre le fut aussi, n’est-ce pas ?
Car, toute canicule mise à part, Aro Satoe bénéficiera bien de quatre éditions : l’édition dite courante, dont j’ai appris il y a quelques jours qu’elle était imprimée ; le tirage de tête, pour lequel j’ai dessiné un dessin dit « de frontispice » et une jaquette — la photo jointe vous montrera le pauvre dessinateur occupé à signer 1200 exemplaires du dessin de frontispice, même si le tirage de tête sera de mille exemplaires (j’en signe toujours davantage afin que les gens de la reliure en aient le nombre suffisant s’ils en écartent certains qui se trouveraient abîmés) ; le dernier volet des Cahiers Théodore Poussin, pour lesquels je réalise toujours une couverture et dois fournir des éléments inédits — voilà qui me prend encore pas mal de temps ; et enfin, le tirage de luxe, qui sera limité à 450 exemplaires et reprendra les pages en fac-similé, en noir et blanc, au format 30 X 40, et pour lequel j’ai réalisé deux dessins à ce format, un pour le recto du livre, l’autre pour le verso ; en noir et blanc aussi, cela va sans dire.
Et, à l’heure où je vous écris, il me reste encore à signer les justificatifs de tirage de cette édition de luxe.
Vous le voyez, Aro Satoe n’est toujours pas fini, pour moi, et je peux difficilement travailler sereinement à la réécriture de certains « chapitres » de 23 skidoo, projet dont je vous ai déjà parlé sans rien pouvoir vous en dévoiler, là non plus, ainsi qu’à l’écriture du prochain Théodore, dont les notes, les bouts de dialogues et les documents s’accumulent depuis le mois de mai 2018 ! J’ai sur ma table un cahier gavé de scènes disparates, qui semblent ne pas vouloir s’enchaîner entre elles, de bonnes idées et de fausses pistes (qui ne sont pas toujours aisées à démêler), de phrase notées à la hâte sur des bouts de papier de toutes sortes — j’en griffone jusque dans mon lit.
Il ne vous aura pas échappé que le titre de ce petit courrier recèle un trait d’esprit d’une drôlerie étourdissante. Moi qui ai les jeux de mots et les calembours en horreur, je n’ai pas pu résister au désir de montrer que je n’étais pas plus mauvais qu’un autre, même si certains de mes amis sont bigrement plus affutés que moi dans ce domaine — ces amis sont d’ailleurs interdits de calembours quand ils sont chez moi ; chez eux, ils font ce qu’ils veulent.
Bref ! Voici que nous fêtons les neuf ans de cet endroit où, théoriquement, vous pouvez trouver quelques nouvelles de moi et, surtout, de mon travail.
Je dis bien « théoriquement » car, cette année, je ne vous aurai guère inondés de nouvelles, je l’admets.
C’est que je travaillais encore sur Aro Satoe, le prochain Théodore Poussin, et que je ne pouvais rien vous montrer des pages en cours sans vous dévoiler des détails, des éléments du récit, ce qui aurait été regrettable pour nous tous.
Et, si la dernière page de cet album a été terminée le 11 avril 2022, sachez que je n’en ai pas encore terminé avec Aro Satoe !
C’est qu’une fois les pages dessinées, il m’a fallu travailler sur pas moins de quatre éditions différentes, ce à quoi j’ai consacré pratiquement tout mon été caniculaire — le vôtre le fut aussi, n’est-ce pas ?
Car, toute canicule mise à part, Aro Satoe bénéficiera bien de quatre éditions : l’édition dite courante, dont j’ai appris il y a quelques jours qu’elle était imprimée ; le tirage de tête, pour lequel j’ai dessiné un dessin dit « de frontispice » et une jaquette — la photo jointe vous montrera le pauvre dessinateur occupé à signer 1200 exemplaires du dessin de frontispice, même si le tirage de tête sera de mille exemplaires (j’en signe toujours davantage afin que les gens de la reliure en aient le nombre suffisant s’ils en écartent certains qui se trouveraient abîmés) ; le dernier volet des Cahiers Théodore Poussin, pour lesquels je réalise toujours une couverture et dois fournir des éléments inédits — voilà qui me prend encore pas mal de temps ; et enfin, le tirage de luxe, qui sera limité à 450 exemplaires et reprendra les pages en fac-similé, en noir et blanc, au format 30 X 40, et pour lequel j’ai réalisé deux dessins à ce format, un pour le recto du livre, l’autre pour le verso ; en noir et blanc aussi, cela va sans dire.
Et, à l’heure où je vous écris, il me reste encore à signer les justificatifs de tirage de cette édition de luxe.
Vous le voyez, Aro Satoe n’est toujours pas fini, pour moi, et je peux difficilement travailler sereinement à la réécriture de certains « chapitres » de 23 skidoo, projet dont je vous ai déjà parlé sans rien pouvoir vous en dévoiler, là non plus, ainsi qu’à l’écriture du prochain Théodore, dont les notes, les bouts de dialogues et les documents s’accumulent depuis le mois de mai 2018 ! J’ai sur ma table un cahier gavé de scènes disparates, qui semblent ne pas vouloir s’enchaîner entre elles, de bonnes idées et de fausses pistes (qui ne sont pas toujours aisées à démêler), de phrase notées à la hâte sur des bouts de papier de toutes sortes — j’en griffone jusque dans mon lit.
Et de tout cela, j’espère que vous l’aurez compris, je ne pouvais rien vous montrer — ce qui laisse parfois penser à certains esprits chagrins que je ne travaille guère… moi qui ne connais pas une journée sans travail.
D’accord, parfois, ces journées de travail consistent à peindre ou à écrire. Mais ces activités-là, si elles échappent au public, me permettent, à moi, de me ressourcer entre deux périodes d’efforts intenses sur la bande dessinée en cours. Je suis ainsi fait : sur un album, le temps est mon ami. Je ne peux tout simplement pas aligner des pages jour après jour et les envoyer aussitôt à mon éditeur. Ces pages doivent passer par une épreuve, celle du temps. Quand vous avez dessiné une page en quelques jours, de trois à cinq jours, et que vous la revoyez un an après, il est rare que vous en soyez parfaitement satisfait. C’est souvent mon cas. Il en va de même pour les scénarios où, là, le temps me permet d’avoir réfléchi à d’autres angles, d’autres manières de traiter certaines scènes. Ainsi, quatre ans après avoir écrit Aro Satoe, et quand je dessinais les scènes finales, c’est là, et seulement là, que le ton exact d’une des scènes les plus importantes du récit a été trouvé.
Voilà. Je vous ai dit de quoi fut principalement constituée cette année 2022 pour moi. Il me paraît inutile de vous parler de l’Ukraine, de la pandémie, de la reine Elizabeth II, dont j’étais assez épris quand j’étais enfant (mais entre elle et moi, les choses en sont restées là, comme vous le savez sans doute), et de Jean-Luc Godard, qui nous aura quittés sur une ultime provocation ; inutile, car vous aurez déjà trouvé tout cela ailleurs.
Pour nous, ce 23 septembre représente neuf ans de constance et de fidélité chez ces gens dont j’admire le dévouement désintéressé, Laure en tête — Laure qui a d’ailleurs su faire avec mes silences et ma rétention de renseignements ou de documents, ce dont je la remercie.
Et pour moi, ma foi, un an de plus, un an qui me rapproche peut-être un peu plus de cette sagesse tant espérée.
Nous sommes le 20 septembre. Il est quinze heures trente. L’atelier est bien calme, pour une fois sans musique. Dehors, un ciel d’un beau bleu éclatant fait penser que l’été n’est pas fini, même si la fraîcheur de l’air le contredit.
Je vais travailler à une toile qui n’est encore que quelques touches de couleurs sans sens aucun — mais je démarre souvent ainsi. Tout ouvrage de l’esprit n’est d’abord qu’un chaos que la raison, ensuite, s’emploie à ordonner.
Portez-vous bien, toutes et tous !
FRANK LE GALL
Quimperlé, le 20 septembre 2022
23/09/23
" Les six cahiers constituant ce que je persiste à appeler un synopsis. La lecture en est impossible à tout autre que moi (et Champollion n'est plus de ce monde), les scènes commençant souvent sur un cahier pour se poursuivre sur un autre. Et tout ce va-et-vient est couvert de pattes de mouche, de ratures, de rajouts de feuilles collées... D'accord, ma méthode n'est pas simple, mais je n'ai jamais su écrire d'un premier jet. "
J’AI DIX ANS
WHEN I’M SIXTY FOUR
(CHANSONS SUIVIES D’UNE DANSE)
Comme chaque année, me revoici, pour formuler mes bons vœux d’anniversaire, celui de ce site et le mien — vous vous y attendiez un peu, avouez ?
Cette année, ma tâche — si c’en est une — sera aisée, vous l’aurez compris en lisant le titre : d’une part, le site a ces dix ans qu’a chanté l’excellent Alain Souchon à ses débuts, même si cet attachant escogriffe mentait déjà et n’avait pas du tout dix ans ; et moi, d’autre part, voilà que je ne pourrai plus chanter la si délicieuse chanson des Beatles juste parce qu’elle a été écrite au futur, un futur qui devient, ce vingt-trois septembre 2023, mon présent. Zut alors, je la chanterai quand même quand l’envie m’en prendra.
Quand Paul McCartney a écrit cette chanson, en 1967, il avait vingt-cinq ans. Selon lui, il l’aurait même écrite dès l’âge de quinze ou seize ans. Il a raconté depuis avoir choisi ce sixty four plutôt qu’un seventy two ou un ninety eight parce que sixty four sonnait mieux. De toute façon, pour lui, pas de doute : 64 ans, c’était un âge rudement avancé, celui où on perd ses cheveux, où on craint de ne plus être aimé ou désiré, l’âge où on doit se contenter de bêcher gentiment son jardin — enfin, un âge qui lui paraissait alors si lointain qu’il ne s’y projetait en aucune façon. Evidemment, quand il a eu 64 ans, Paul se sentait encore bien jeune — il faisait paraître alors son œuvre classique Ecce Cor Meum, que j’écoute en ce moment même, en vous écrivant, avant de s’atteler à de nouveaux albums pop et des tournées mondiales— et sa chanson lui a paru un peu drôle.
Drôle aussi, le fait qu’il ait chanté « m’enverrez-vous une carte d’anniversaire et une bouteille de vin ? ». Je vous laisse imaginer combien de cartes de vœux et de bouteilles de vin — de quoi concurrencer les caves les plus fameuses, sans doute — Paul McCartney a reçues ce 18 juin 2006 !
Pour ma part, ne m’envoyez pas de cartes postales, s’il vous plaît ; je n’ai aucun goût pour les collections. Ne m’envoyez pas non plus de bouteilles de vin, je ne les boirais pas. Mais peut-être n’y aviez-vous pas du tout songé, et je ne vous en veux nullement.
Comme chaque année, ainsi que je le disais, je viens présenter mes vœux à ce site qu’on me consacre si gentiment et, maintenant, depuis si longtemps.
La constance et la fidélité de Laure et de ses amis m’émerveillent de plus en plus, ces années passant. Car tout ne se fait pas toujours dans la facilité — tous ces gens ont une vie, vous vous en doutez, et la vie s’arrange toujours bien pour nous détourner de nos projets, de nos désirs, de nos intentions.
Et moi, je dois bien le reconnaître, je ne joue pas souvent le jeu — lequel consiste seulement en nouvelles, en informations que je devrais transmettre, sinon avec régularité, du moins au fur et à mesure que j’en ai à délivrer, et voilà un rôle que je ne sais même pas tenir !
Si vous manquez souvent de détails sur mon travail en cours ou à venir, vous savez donc à qui vous en prendre…
Toutefois (j’ai relu mes précédents messages d’anniversaire), je profite chaque année de cette occasion pour, rituellement, vous raconter de quoi mon année fut constituée — et, ce faisant, me rattraper un peu, j’espère…
En avant, donc, pour un tour d’horizon, du 23 septembre au 23 septembre puisque ce sont, ici, les bornes de nos années (ça, je l’ai déjà dit dans un précédent message).
Après les trois années passées à réaliser Aro Satoe, sans compter celles consacrées à son élaboration, le besoin de me livrer à tout autre chose qu’à la bande dessinée se faisait ressentir. Je n’aurais pas pu m’atteler à l’album suivant tant que celui-ci n’était pas paru. Car, pour moi, c’est à ce moment-là seulement que l’album est bel et bien terminé. Le moment où il cesse de m’appartenir pour devenir un livre — le vôtre.
C’est un sentiment étrange : on a vécu ensemble, ce travail et moi, et je dis bien « travail » puisqu’il ne s’agit pas encore d’un livre mais de séquences, de scènes, de décors, de mouvements, de dialogues dont la continuité m’échappe quelque peu et se fait malgré moi, si tout va bien et que le métier parle — seuls, donc, à l’exception de la présence souvent discrète de l’éditeur et des quelques personnes concernées par « l’avancement des travaux ». Mais c’est bien seul que, face à son travail, on avance chaque jour, jour après jour, à pas de fourmi, tour à tour confiant puis assailli de doutes, à chercher son chemin vers l’aboutissement du récit. C’est pourquoi, quand le livre paraît, quand il est devenu un livre, il ne s’agit plus de ce travail en forme de long voyage fait de vagues contraires, d’écueils à éviter, de mers d’huile aussi et de jours sans vent, mais d’un objet appartenant désormais au lecteur, lequel peut, en le découvrant dans sa forme achevée, le discuter, l’aimer, le détester, l’analyser, l’expliquer — toutes choses qui, à moi, m’ont été interdites. D’ailleurs, le livre n’est jamais ce que je m’étais proposé d’en faire. Il m’est d’abord un étranger, et il me faut longtemps pour le considérer comme un de mes rejetons — au sens végétal, jardinier, du terme. C’est ainsi.
Aro Satoe, le livre, est donc paru en janvier 2023.
Mes pages sont exposées à la Galerie Huberty & Breyne de l’Avenue Matignon (à Paris, oui), et me voilà, le jour du vernissage, à parler avec des lecteurs de cet objet que je n’appréhende pas encore très bien, à répondre à des journalistes me posant des questions dont je n’ai pas, ou plus, les réponses : Comment ? Pourquoi ? Je ne sais plus, j’ai déjà oublié…
A cette occasion, Alain Huberty me fait le plus beau cadeau qui soit en me proposant d’exposer, séparées des pages en noir et blanc, une dizaine de mes toiles — on peut imaginer pire, comme lieu, pour montrer ses toiles pour la première fois. Et, à ma vive surprise, personne, parmi les visiteurs, n’a émis le désir de me voir mettre au pilori en place publique. Il semble même qu’elles n’aient pas déplu.
Le livre est donc paru et il court mener sa vie, tel le petit bonhomme de pain d’épices du conte pour enfants. Je le laisse courir sans me soucier des chemins qu’il emprunte et des rencontres qu’il y fait. Par principe, je ne me rends même pas dans une librairie pour le voir.
WHEN I’M SIXTY FOUR
(CHANSONS SUIVIES D’UNE DANSE)
Comme chaque année, me revoici, pour formuler mes bons vœux d’anniversaire, celui de ce site et le mien — vous vous y attendiez un peu, avouez ?
Cette année, ma tâche — si c’en est une — sera aisée, vous l’aurez compris en lisant le titre : d’une part, le site a ces dix ans qu’a chanté l’excellent Alain Souchon à ses débuts, même si cet attachant escogriffe mentait déjà et n’avait pas du tout dix ans ; et moi, d’autre part, voilà que je ne pourrai plus chanter la si délicieuse chanson des Beatles juste parce qu’elle a été écrite au futur, un futur qui devient, ce vingt-trois septembre 2023, mon présent. Zut alors, je la chanterai quand même quand l’envie m’en prendra.
Quand Paul McCartney a écrit cette chanson, en 1967, il avait vingt-cinq ans. Selon lui, il l’aurait même écrite dès l’âge de quinze ou seize ans. Il a raconté depuis avoir choisi ce sixty four plutôt qu’un seventy two ou un ninety eight parce que sixty four sonnait mieux. De toute façon, pour lui, pas de doute : 64 ans, c’était un âge rudement avancé, celui où on perd ses cheveux, où on craint de ne plus être aimé ou désiré, l’âge où on doit se contenter de bêcher gentiment son jardin — enfin, un âge qui lui paraissait alors si lointain qu’il ne s’y projetait en aucune façon. Evidemment, quand il a eu 64 ans, Paul se sentait encore bien jeune — il faisait paraître alors son œuvre classique Ecce Cor Meum, que j’écoute en ce moment même, en vous écrivant, avant de s’atteler à de nouveaux albums pop et des tournées mondiales— et sa chanson lui a paru un peu drôle.
Drôle aussi, le fait qu’il ait chanté « m’enverrez-vous une carte d’anniversaire et une bouteille de vin ? ». Je vous laisse imaginer combien de cartes de vœux et de bouteilles de vin — de quoi concurrencer les caves les plus fameuses, sans doute — Paul McCartney a reçues ce 18 juin 2006 !
Pour ma part, ne m’envoyez pas de cartes postales, s’il vous plaît ; je n’ai aucun goût pour les collections. Ne m’envoyez pas non plus de bouteilles de vin, je ne les boirais pas. Mais peut-être n’y aviez-vous pas du tout songé, et je ne vous en veux nullement.
Comme chaque année, ainsi que je le disais, je viens présenter mes vœux à ce site qu’on me consacre si gentiment et, maintenant, depuis si longtemps.
La constance et la fidélité de Laure et de ses amis m’émerveillent de plus en plus, ces années passant. Car tout ne se fait pas toujours dans la facilité — tous ces gens ont une vie, vous vous en doutez, et la vie s’arrange toujours bien pour nous détourner de nos projets, de nos désirs, de nos intentions.
Et moi, je dois bien le reconnaître, je ne joue pas souvent le jeu — lequel consiste seulement en nouvelles, en informations que je devrais transmettre, sinon avec régularité, du moins au fur et à mesure que j’en ai à délivrer, et voilà un rôle que je ne sais même pas tenir !
Si vous manquez souvent de détails sur mon travail en cours ou à venir, vous savez donc à qui vous en prendre…
Toutefois (j’ai relu mes précédents messages d’anniversaire), je profite chaque année de cette occasion pour, rituellement, vous raconter de quoi mon année fut constituée — et, ce faisant, me rattraper un peu, j’espère…
En avant, donc, pour un tour d’horizon, du 23 septembre au 23 septembre puisque ce sont, ici, les bornes de nos années (ça, je l’ai déjà dit dans un précédent message).
Après les trois années passées à réaliser Aro Satoe, sans compter celles consacrées à son élaboration, le besoin de me livrer à tout autre chose qu’à la bande dessinée se faisait ressentir. Je n’aurais pas pu m’atteler à l’album suivant tant que celui-ci n’était pas paru. Car, pour moi, c’est à ce moment-là seulement que l’album est bel et bien terminé. Le moment où il cesse de m’appartenir pour devenir un livre — le vôtre.
C’est un sentiment étrange : on a vécu ensemble, ce travail et moi, et je dis bien « travail » puisqu’il ne s’agit pas encore d’un livre mais de séquences, de scènes, de décors, de mouvements, de dialogues dont la continuité m’échappe quelque peu et se fait malgré moi, si tout va bien et que le métier parle — seuls, donc, à l’exception de la présence souvent discrète de l’éditeur et des quelques personnes concernées par « l’avancement des travaux ». Mais c’est bien seul que, face à son travail, on avance chaque jour, jour après jour, à pas de fourmi, tour à tour confiant puis assailli de doutes, à chercher son chemin vers l’aboutissement du récit. C’est pourquoi, quand le livre paraît, quand il est devenu un livre, il ne s’agit plus de ce travail en forme de long voyage fait de vagues contraires, d’écueils à éviter, de mers d’huile aussi et de jours sans vent, mais d’un objet appartenant désormais au lecteur, lequel peut, en le découvrant dans sa forme achevée, le discuter, l’aimer, le détester, l’analyser, l’expliquer — toutes choses qui, à moi, m’ont été interdites. D’ailleurs, le livre n’est jamais ce que je m’étais proposé d’en faire. Il m’est d’abord un étranger, et il me faut longtemps pour le considérer comme un de mes rejetons — au sens végétal, jardinier, du terme. C’est ainsi.
Aro Satoe, le livre, est donc paru en janvier 2023.
Mes pages sont exposées à la Galerie Huberty & Breyne de l’Avenue Matignon (à Paris, oui), et me voilà, le jour du vernissage, à parler avec des lecteurs de cet objet que je n’appréhende pas encore très bien, à répondre à des journalistes me posant des questions dont je n’ai pas, ou plus, les réponses : Comment ? Pourquoi ? Je ne sais plus, j’ai déjà oublié…
A cette occasion, Alain Huberty me fait le plus beau cadeau qui soit en me proposant d’exposer, séparées des pages en noir et blanc, une dizaine de mes toiles — on peut imaginer pire, comme lieu, pour montrer ses toiles pour la première fois. Et, à ma vive surprise, personne, parmi les visiteurs, n’a émis le désir de me voir mettre au pilori en place publique. Il semble même qu’elles n’aient pas déplu.
Le livre est donc paru et il court mener sa vie, tel le petit bonhomme de pain d’épices du conte pour enfants. Je le laisse courir sans me soucier des chemins qu’il emprunte et des rencontres qu’il y fait. Par principe, je ne me rends même pas dans une librairie pour le voir.
" jungle 14 " : " Une huile de 73 sur 54 datant du mois de mars dernier. Si elle porte le titre de "Jungle 14", c'est que je ne peins plus que des jungles depuis le début de cette année. L'idée de travailler sur un thème unique m'est venue en étudiant les Ateliers de Georges Braque. L'avantage de l'exploration d'un seul thème est de permettre de se concentrer mieux sur un but — ce qu'empêche un peu la diversité des sujets. Et l'exploration du thème devient vite une profonde exploration de soi. "
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" jungle 23 " : " Huile, 92 sur 65, août 2023. A ce jour, j'ai peint 25 jungles, auxquelles il faut ajouter trois grands formats de plus d'un mètre, numérotés en chiffres romains, qui sont des synthèses exécutées en cours de route des jungles de plus petit format, et cinq toiles carrées de 60 sur 60, marquées de A à E, des exercices d'improvisation plus libres, plus proches de la non-figuration. "
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Ce début d’année a été consacré à la peinture — je l’avais délaissée depuis bien longtemps pour me livrer entièrement à Aro Satoe et nos retrouvailles, de septembre à décembre, avaient été peu satisfaisantes.
Je ne vous parlerai pas ici de cette partie de ma vie. En visitant un site ayant pour nom FLGBD, vous vous attendez en toute logique à entendre parler de bande dessinée, me semble-t-il, et non de lignes, de clairs-obscurs et de couleurs.
Il vous intéressera sans doute davantage d’apprendre, si vous ne le savez déjà, que la pratique de la peinture laisse une grande partie de la tête libre — ce n’est pas avec elle qu’on doit peindre. Et, tout en peignant, je me laissais aisément aller au flux et au reflux des idées — oui, je parle du prochain Théodore Poussin, dont les premières lueurs apparaissaient déjà en 2018, pendant que j’écrivais Aro Satoe, les notes les plus anciennes, prises dans mes éternels cahiers d’écolier, en témoignent. Le récit, pour autant, ne prenait pas vraiment forme. Il s’y refusait depuis le début. Je possédais une belle quantité d’éléments, mais aucun ne paraissait vouloir se marier avec son voisin ou sa voisine. Je savais forcément comment démarrait mon histoire puisqu’elle faisait suite à Aro Satoe, je savais plus ou moins comment je voulais la terminer, mais entre ce point A et ce point B régnait la plus belle des confusions.
La difficulté venait de ce que, dans cette quinzième aventure de Théodore Poussin, je souhaitais faire table rase de nombreux composants — événements et personnages — avec lesquels je travaillais depuis Les Jalousies, et qui commençaient à encombrer mon propos et ralentir ma marche. En cela, ce 15e tome peut être considéré comme le pendant d’Un Passager porté disparu, une sorte de seconde césure dans la série (le terme de césure est impropre ; tant pis).
Il ne s’agit aucunement de la fin de la série, comme je l’entends souvent dire, ou comme on me le demande depuis Le dernier Voyage de l’Amok — juste à cause du mot « dernier » ? Aro Satoe ne pouvait en aucun cas constituer une fin aux aventures de Théodore Poussin, et le prochain Théodore Poussin ne sera pas non plus le dernier, mais la fin d’un deuxième cycle, puisque le terme de « premier cycle », dont je ne suis pas l’initiateur, a été employé lors de la parution du Passager porté disparu.
Finalement, je décidai de prendre le taureau par les cornes pour tâcher de mettre fin au ballet fatigant de ces idées rétives, indociles, récalcitrantes — et je posai mes pinceaux.
Du 19 mai au 28 juillet, très exactement, j’ai écrit chaque jour, du matin au soir, comme un forcené, sur mes cahiers d’écolier. J’en ai noirci six. Il s’agissait d’un long synopsis, lequel est par définition censé être bref, un ample schéma dialogué, et non d’un scénario tel qu’on le conçoit habituellement. Ici, aucun découpage, aucune indication quant au nombre de pages.
Pendant ces deux bons mois, ma tête, puisque je vous parlais d’elle, s’est trouvée comme prise dans une lessiveuse. Le silence complet m’est nécessaire quand j’écris, et ma compagne, l’illustratrice Eve Tharlet, en a souffert, elle qui ne travaille qu’en compagnie de ses chers grands compositeurs de la période baroque. L’élaboration et la rédaction de ce synopsis me rendaient si bien chèvre que j’avais fini par l’appeler « mon Nostromo » — ceux d’entre vous qui ont lu le roman de Joseph Conrad comprendront ma peine.
Mais voilà : Fox-Trot est né.
Pour l’heure, et depuis le 29 juillet, il repose. Car, entre lui et moi, tout n’est pas dit. Je dois encore y travailler avant de m’atteler à son découpage.
Fox-Trot se présentera vraisemblablement en deux tomes, tout comme La Terrasse des Audiences, avec qui il présente d’ailleurs des points communs.
En le lisant, on pensera aussi, à mon avis, au Mangeur d’Archipels, un album dont, avec les années, j’ai appris à apprécier le charme simple et l’économie des moyens mis en œuvre.
Bien sûr, la lecture de ce Fox-Trot n’est pas pour demain. Vous savez tous combien je suis lent ; plus exactement, j’aime laisser le temps jouer en ma faveur. Si vous avez déjà écrit quelques lignes de quoi que ce soit, vous savez comme moi qu’en les laissant reposer un peu puis en y remettant le nez, on ne peut raisonnablement pas être complètement satisfait de ce qu’on a écrit. Il reste toujours quelque chose à améliorer.
Sur cette question, je citerai un peintre, pour finir. Auguste Renoir.
« Celui qui ne sait pas, après l’avoir retournée trois mois contre le mur, trouver ce qui manque dans sa toile, n’a pas besoin de faire de peinture. »
Bon anniversaire à ce site, bon anniversaire à moi, bon anniversaire à vous si c’est aussi votre anniversaire, et même si ça ne l’est pas, eh bien, bon anniversaire, après tout !
Frank le Gall
Quimperlé, le 19 septembre 2023
Je ne vous parlerai pas ici de cette partie de ma vie. En visitant un site ayant pour nom FLGBD, vous vous attendez en toute logique à entendre parler de bande dessinée, me semble-t-il, et non de lignes, de clairs-obscurs et de couleurs.
Il vous intéressera sans doute davantage d’apprendre, si vous ne le savez déjà, que la pratique de la peinture laisse une grande partie de la tête libre — ce n’est pas avec elle qu’on doit peindre. Et, tout en peignant, je me laissais aisément aller au flux et au reflux des idées — oui, je parle du prochain Théodore Poussin, dont les premières lueurs apparaissaient déjà en 2018, pendant que j’écrivais Aro Satoe, les notes les plus anciennes, prises dans mes éternels cahiers d’écolier, en témoignent. Le récit, pour autant, ne prenait pas vraiment forme. Il s’y refusait depuis le début. Je possédais une belle quantité d’éléments, mais aucun ne paraissait vouloir se marier avec son voisin ou sa voisine. Je savais forcément comment démarrait mon histoire puisqu’elle faisait suite à Aro Satoe, je savais plus ou moins comment je voulais la terminer, mais entre ce point A et ce point B régnait la plus belle des confusions.
La difficulté venait de ce que, dans cette quinzième aventure de Théodore Poussin, je souhaitais faire table rase de nombreux composants — événements et personnages — avec lesquels je travaillais depuis Les Jalousies, et qui commençaient à encombrer mon propos et ralentir ma marche. En cela, ce 15e tome peut être considéré comme le pendant d’Un Passager porté disparu, une sorte de seconde césure dans la série (le terme de césure est impropre ; tant pis).
Il ne s’agit aucunement de la fin de la série, comme je l’entends souvent dire, ou comme on me le demande depuis Le dernier Voyage de l’Amok — juste à cause du mot « dernier » ? Aro Satoe ne pouvait en aucun cas constituer une fin aux aventures de Théodore Poussin, et le prochain Théodore Poussin ne sera pas non plus le dernier, mais la fin d’un deuxième cycle, puisque le terme de « premier cycle », dont je ne suis pas l’initiateur, a été employé lors de la parution du Passager porté disparu.
Finalement, je décidai de prendre le taureau par les cornes pour tâcher de mettre fin au ballet fatigant de ces idées rétives, indociles, récalcitrantes — et je posai mes pinceaux.
Du 19 mai au 28 juillet, très exactement, j’ai écrit chaque jour, du matin au soir, comme un forcené, sur mes cahiers d’écolier. J’en ai noirci six. Il s’agissait d’un long synopsis, lequel est par définition censé être bref, un ample schéma dialogué, et non d’un scénario tel qu’on le conçoit habituellement. Ici, aucun découpage, aucune indication quant au nombre de pages.
Pendant ces deux bons mois, ma tête, puisque je vous parlais d’elle, s’est trouvée comme prise dans une lessiveuse. Le silence complet m’est nécessaire quand j’écris, et ma compagne, l’illustratrice Eve Tharlet, en a souffert, elle qui ne travaille qu’en compagnie de ses chers grands compositeurs de la période baroque. L’élaboration et la rédaction de ce synopsis me rendaient si bien chèvre que j’avais fini par l’appeler « mon Nostromo » — ceux d’entre vous qui ont lu le roman de Joseph Conrad comprendront ma peine.
Mais voilà : Fox-Trot est né.
Pour l’heure, et depuis le 29 juillet, il repose. Car, entre lui et moi, tout n’est pas dit. Je dois encore y travailler avant de m’atteler à son découpage.
Fox-Trot se présentera vraisemblablement en deux tomes, tout comme La Terrasse des Audiences, avec qui il présente d’ailleurs des points communs.
En le lisant, on pensera aussi, à mon avis, au Mangeur d’Archipels, un album dont, avec les années, j’ai appris à apprécier le charme simple et l’économie des moyens mis en œuvre.
Bien sûr, la lecture de ce Fox-Trot n’est pas pour demain. Vous savez tous combien je suis lent ; plus exactement, j’aime laisser le temps jouer en ma faveur. Si vous avez déjà écrit quelques lignes de quoi que ce soit, vous savez comme moi qu’en les laissant reposer un peu puis en y remettant le nez, on ne peut raisonnablement pas être complètement satisfait de ce qu’on a écrit. Il reste toujours quelque chose à améliorer.
Sur cette question, je citerai un peintre, pour finir. Auguste Renoir.
« Celui qui ne sait pas, après l’avoir retournée trois mois contre le mur, trouver ce qui manque dans sa toile, n’a pas besoin de faire de peinture. »
Bon anniversaire à ce site, bon anniversaire à moi, bon anniversaire à vous si c’est aussi votre anniversaire, et même si ça ne l’est pas, eh bien, bon anniversaire, après tout !
Frank le Gall
Quimperlé, le 19 septembre 2023
" Mon Nostromo en cours de réalisation... "
LONGUE EST LA ROUTE
QUI VA VERS
CE QU’UN CŒUR DÉSIRE
(Joseph Conrad, La Ligne d’ombre)
Le temps est beau, la mer calme, quelques beaux nuages blancs filent vite voir ailleurs, poussés par le vent du ciel ; et puis, c’est aujourd’hui jour de fête !
Alors ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
Ce qui ne va pas, je le confesse sans peine, c’est qu’entre deux messages d’anniversaires, je vous laisse pratiquement sans nouvelles — non, n’accusez pas ce site, ces silences sont bien les miens. Faut-il croire pour autant que je ne fais rien, d’un 23 septembre à l’autre ? Non, car je travaille tous les jours, et je n’ai d’ailleurs aucun mérite à cela puisque je ne sais pas me reposer, ne rien faire.
Pas plus que je ne sais assurer ma propre promotion, ou celle de mon travail, en me répandant sur les réseaux sociaux. C’est pourtant la règle aujourd’hui : un auteur, en plus de devoir faire son travail d’auteur, de réfléchir, d’écrire, de dessiner le plus au calme possible (et vous ne sauriez imaginer combien le calme et l’isolement sont des denrées rares !), cet auteur, aujourd’hui, doit en outre se montrer partout et jouer des coudes dans la galerie des auteurs, une foultitude d’auteurs, afin qu’on le remarque, lui, ou à tout le moins qu’on ne l’oublie pas.
Et ça, je ne sais pas le faire.
Et puis, cette année, je n’aurais pas eu grand-chose à vous montrer. Ou, en tout cas, à montrer à qui ne voit en moi qu’un auteur de bandes dessinées et rien d’autre.
En effet, si je me suis livré au découpage des deux prochains albums de Théodore Poussin, les tomes 1 et 2 de Fox-Trot, lesquels feront respectivement 48 et 52 planches, ce qui nous donne, par le plus grand des hasards, 100 pages tout rond, je vois mal comment j’aurais pu partager ce long travail avec vous. Publier des pages découpées me paraît de peu d’intérêt. Depuis, les deux protège-documents aux feuilles plastifiées où je range traditionnellement mes découpages — toujours de la marque Le Lutin, ma préférée — sont sur mon bureau et attendent octobre pour devenir, page après page, des planches, et c’est un nouveau voyage au long-cours qui m’attend. Pourquoi attendre ainsi, pensez-vous peut-être ? Sans doute parce que les livres paraissent en si grand nombre et, loin de s’accumuler, ont une fâcheuse tendance à s’annuler. Prendre mon temps me paraît, non pas un luxe, mais un éloge de la lenteur auquel je prête des accents de sagesse.
Le temps m’a permis de comprendre que rien de vraiment bon ne peut se faire dans l’urgence — surtout si on peut se dispenser de ce sentiment d’urgence. Par exemple, il m’arrive encore de me relever le soir pour noter une idée, modifier un mot écrit il y a des mois, améliorer encore un détail, et je me félicite dans ces cas-là de n’avoir pas déjà terminé et fait paraître mon histoire. Rien ne me désole plus que de constater que j’aurais pu mieux faire par endroits. Car, pour l’ensemble, on ne peut décidément jamais être tout-à-fait satisfait de son travail, à moins d’être par nature content de soi — « je ne l’ai jamais été, Dieu me garde de le devenir un jour », disait Jean Gabin.
Bon, bon, mais le découpage de deux tomes de Théodore Poussin, c’est bien beau, ça, mais ça ne remplit pas une année entière, tout de même ?
Eh bien, non.
Et c’est là que nous nous éloignons (pas tant que ça) de la bande dessinée pour évoquer l’autre activité qui a occupé le plus clair de mon temps cette année, la peinture.
À qui grognera après moi, je dirai que la peinture fait partie depuis toujours de mon chemin. Je peignais déjà à l’époque où je dessinais Capitaine Steene, le premier Théodore Poussin. Il s’agissait de grandes gouaches. À l’époque, je n’osais pas me lancer dans l’huile, et je n’en aurais d’ailleurs pas eu les moyens ni la place dans les appartements exigus où je vivais alors. À d’autres périodes, la bande dessinée m’a complètement accaparé, mais je n’ai jamais pu oublier la peinture, pas plus que l’écriture.
J’ai parlé de chemin. Ce chemin, c’est celui de ma vie. Il y a plus de quarante-cinq ans que je pratique la bande dessinée en professionnel, et je ne me considère toujours pas comme une simple machine à produire des bandes dessinées. Comme vous, j’ai une vie, des choses que je dois absolument réaliser, des rêves. Pour vous, c’est peut-être visiter Prague ou Istanbul, aller en Laponie, faire du saut en parachute ou apprendre la clarinette. Pour moi, c’est m’isoler du monde, réfléchir, penser, et peindre dans le plus grand calme possible.
De janvier 2023 à juillet 2024, soit pendant dix-neuf mois, j’ai peint des jungles, et rien d’autre que des jungles. Pourquoi ? C’est simple : après plus de dix ans d’huile pratiquée avec assiduité, j’étais encore gêné, entravé, par ce problème majeur de la peinture moderne : que peindre ? Dès lors qu’on renonce à peindre des scènes anecdotiques ou à se livrer au symbolisme, à refuser l’abstrait, à peindre de ces nus qui paraissent aujourd’hui bien obsolètes et hors-de-propos, que peindre ? Quel sujet ?
De 1949 à 1956, Georges Braque n’a peint que son atelier, résolvant ainsi la question du choix du sujet pour ne s’attacher qu’au rapport harmonieux entre les objets, et non plus aux objets eux-mêmes. Et ces sept ans de travail ont donné huit toiles, huit ateliers qui sont ce que Braque a fait de plus beau à mon sens.
L’idée de se focaliser sur un thème unique, et d’évacuer ainsi le problème du sujet — qui présente en plus l’inconvénient de disperser l’attention de celui qui peint par la diversité des thèmes abordés, lesquels posent à chaque fois des difficultés différentes — m’a tout de suite séduit. Et j’ai cherché ce qui, chez moi, était le plus récurrent. Car peindre mon atelier, sûrement pas !
Mais je sortais d’Aro satoe, où j’avais pris énormément de plaisir à dessiner toutes ces jungles en usant de techniques variées — lame de rasoir utilisée comme un outil de dessin, éponges, chiffons, composition chimique de mon invention sur laquelle l’encre noire adhérait de façon aléatoire, trame mécanique, colle à l’eau —, toutes choses que la peinture m’avait permis d’appréhender sans crainte.
De là est née l’idée de ne plus peindre que des jungles, en m’attachant à varier l’approche, la technique, les angles, mais aussi le ressenti et les émotions. Et plus j’avançais, plus je m’apercevais de la richesse du sujet. Je pouvais enfin me concentrer sur la forme, la couleur et les rapports qu’elles entretiennent entre elles, et elles avec moi.
« Mais, et la bande dessinée, dans tout ça ?! »
Eh bien, dites-vous que celui qui vous écrit ici, maintenant, celui qui écrit et dessine Théodore Poussin et celui qui peint sont le même homme, un homme qui désire que son chemin soit beau et enrichissant. Chacune de mes activités nourrit l’autre et me nourrit, moi.
Après tout, personne ne me fait grief de prendre le temps de manger au lieu de dessiner. Et il me faut manger pour avoir les forces nécessaires à mon travail.
Je sais, j’ai l’air de m’excuser alors que vous ne m’avez rien reproché, à ma connaissance… Je tenais surtout à m’expliquer sur le temps sans doute trop long qui sépare mes livres. Voilà qui est fait.
je vous présente, pour finir, quelques unes de ces jungles, en espérant qu’elles parleront pour moi. Ne les cherchez pas ailleurs, je ne les ai pas exposées — mais j’y songe.
Bon anniversaire au site, et bon anniversaire à moi !
Frank Le Gall
Quimperlé, le 20 septembre 2024
Le temps est beau, la mer calme, quelques beaux nuages blancs filent vite voir ailleurs, poussés par le vent du ciel ; et puis, c’est aujourd’hui jour de fête !
Alors ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
Ce qui ne va pas, je le confesse sans peine, c’est qu’entre deux messages d’anniversaires, je vous laisse pratiquement sans nouvelles — non, n’accusez pas ce site, ces silences sont bien les miens. Faut-il croire pour autant que je ne fais rien, d’un 23 septembre à l’autre ? Non, car je travaille tous les jours, et je n’ai d’ailleurs aucun mérite à cela puisque je ne sais pas me reposer, ne rien faire.
Pas plus que je ne sais assurer ma propre promotion, ou celle de mon travail, en me répandant sur les réseaux sociaux. C’est pourtant la règle aujourd’hui : un auteur, en plus de devoir faire son travail d’auteur, de réfléchir, d’écrire, de dessiner le plus au calme possible (et vous ne sauriez imaginer combien le calme et l’isolement sont des denrées rares !), cet auteur, aujourd’hui, doit en outre se montrer partout et jouer des coudes dans la galerie des auteurs, une foultitude d’auteurs, afin qu’on le remarque, lui, ou à tout le moins qu’on ne l’oublie pas.
Et ça, je ne sais pas le faire.
Et puis, cette année, je n’aurais pas eu grand-chose à vous montrer. Ou, en tout cas, à montrer à qui ne voit en moi qu’un auteur de bandes dessinées et rien d’autre.
En effet, si je me suis livré au découpage des deux prochains albums de Théodore Poussin, les tomes 1 et 2 de Fox-Trot, lesquels feront respectivement 48 et 52 planches, ce qui nous donne, par le plus grand des hasards, 100 pages tout rond, je vois mal comment j’aurais pu partager ce long travail avec vous. Publier des pages découpées me paraît de peu d’intérêt. Depuis, les deux protège-documents aux feuilles plastifiées où je range traditionnellement mes découpages — toujours de la marque Le Lutin, ma préférée — sont sur mon bureau et attendent octobre pour devenir, page après page, des planches, et c’est un nouveau voyage au long-cours qui m’attend. Pourquoi attendre ainsi, pensez-vous peut-être ? Sans doute parce que les livres paraissent en si grand nombre et, loin de s’accumuler, ont une fâcheuse tendance à s’annuler. Prendre mon temps me paraît, non pas un luxe, mais un éloge de la lenteur auquel je prête des accents de sagesse.
Le temps m’a permis de comprendre que rien de vraiment bon ne peut se faire dans l’urgence — surtout si on peut se dispenser de ce sentiment d’urgence. Par exemple, il m’arrive encore de me relever le soir pour noter une idée, modifier un mot écrit il y a des mois, améliorer encore un détail, et je me félicite dans ces cas-là de n’avoir pas déjà terminé et fait paraître mon histoire. Rien ne me désole plus que de constater que j’aurais pu mieux faire par endroits. Car, pour l’ensemble, on ne peut décidément jamais être tout-à-fait satisfait de son travail, à moins d’être par nature content de soi — « je ne l’ai jamais été, Dieu me garde de le devenir un jour », disait Jean Gabin.
Bon, bon, mais le découpage de deux tomes de Théodore Poussin, c’est bien beau, ça, mais ça ne remplit pas une année entière, tout de même ?
Eh bien, non.
Et c’est là que nous nous éloignons (pas tant que ça) de la bande dessinée pour évoquer l’autre activité qui a occupé le plus clair de mon temps cette année, la peinture.
À qui grognera après moi, je dirai que la peinture fait partie depuis toujours de mon chemin. Je peignais déjà à l’époque où je dessinais Capitaine Steene, le premier Théodore Poussin. Il s’agissait de grandes gouaches. À l’époque, je n’osais pas me lancer dans l’huile, et je n’en aurais d’ailleurs pas eu les moyens ni la place dans les appartements exigus où je vivais alors. À d’autres périodes, la bande dessinée m’a complètement accaparé, mais je n’ai jamais pu oublier la peinture, pas plus que l’écriture.
J’ai parlé de chemin. Ce chemin, c’est celui de ma vie. Il y a plus de quarante-cinq ans que je pratique la bande dessinée en professionnel, et je ne me considère toujours pas comme une simple machine à produire des bandes dessinées. Comme vous, j’ai une vie, des choses que je dois absolument réaliser, des rêves. Pour vous, c’est peut-être visiter Prague ou Istanbul, aller en Laponie, faire du saut en parachute ou apprendre la clarinette. Pour moi, c’est m’isoler du monde, réfléchir, penser, et peindre dans le plus grand calme possible.
De janvier 2023 à juillet 2024, soit pendant dix-neuf mois, j’ai peint des jungles, et rien d’autre que des jungles. Pourquoi ? C’est simple : après plus de dix ans d’huile pratiquée avec assiduité, j’étais encore gêné, entravé, par ce problème majeur de la peinture moderne : que peindre ? Dès lors qu’on renonce à peindre des scènes anecdotiques ou à se livrer au symbolisme, à refuser l’abstrait, à peindre de ces nus qui paraissent aujourd’hui bien obsolètes et hors-de-propos, que peindre ? Quel sujet ?
De 1949 à 1956, Georges Braque n’a peint que son atelier, résolvant ainsi la question du choix du sujet pour ne s’attacher qu’au rapport harmonieux entre les objets, et non plus aux objets eux-mêmes. Et ces sept ans de travail ont donné huit toiles, huit ateliers qui sont ce que Braque a fait de plus beau à mon sens.
L’idée de se focaliser sur un thème unique, et d’évacuer ainsi le problème du sujet — qui présente en plus l’inconvénient de disperser l’attention de celui qui peint par la diversité des thèmes abordés, lesquels posent à chaque fois des difficultés différentes — m’a tout de suite séduit. Et j’ai cherché ce qui, chez moi, était le plus récurrent. Car peindre mon atelier, sûrement pas !
Mais je sortais d’Aro satoe, où j’avais pris énormément de plaisir à dessiner toutes ces jungles en usant de techniques variées — lame de rasoir utilisée comme un outil de dessin, éponges, chiffons, composition chimique de mon invention sur laquelle l’encre noire adhérait de façon aléatoire, trame mécanique, colle à l’eau —, toutes choses que la peinture m’avait permis d’appréhender sans crainte.
De là est née l’idée de ne plus peindre que des jungles, en m’attachant à varier l’approche, la technique, les angles, mais aussi le ressenti et les émotions. Et plus j’avançais, plus je m’apercevais de la richesse du sujet. Je pouvais enfin me concentrer sur la forme, la couleur et les rapports qu’elles entretiennent entre elles, et elles avec moi.
« Mais, et la bande dessinée, dans tout ça ?! »
Eh bien, dites-vous que celui qui vous écrit ici, maintenant, celui qui écrit et dessine Théodore Poussin et celui qui peint sont le même homme, un homme qui désire que son chemin soit beau et enrichissant. Chacune de mes activités nourrit l’autre et me nourrit, moi.
Après tout, personne ne me fait grief de prendre le temps de manger au lieu de dessiner. Et il me faut manger pour avoir les forces nécessaires à mon travail.
Je sais, j’ai l’air de m’excuser alors que vous ne m’avez rien reproché, à ma connaissance… Je tenais surtout à m’expliquer sur le temps sans doute trop long qui sépare mes livres. Voilà qui est fait.
je vous présente, pour finir, quelques unes de ces jungles, en espérant qu’elles parleront pour moi. Ne les cherchez pas ailleurs, je ne les ai pas exposées — mais j’y songe.
Bon anniversaire au site, et bon anniversaire à moi !
Frank Le Gall
Quimperlé, le 20 septembre 2024